lundi 3 août 2009

Proposition de lecture psychologique des Oiseaux d'Hitchcock

En 1963, à Cannes, le critique Jean Douchet proposa à Alfred Hitchcock son interprétation des Oiseaux : « J’ai l’impression que le comportement des humains, principalement de Mélanie, qui se croient propriétaires du monde, est seul responsable de la colère des cieux ». Hitchcock lui répondit alors : « C’est ça, c’est absolument ça !». Cette lecture rapprocherait la colère des Oiseaux de celles des Erinyes, les divinités persécutrices ailées de la mythologie grecque qui poursuivent inlassablement les coupables d’hybris (de démesure) comme le sont ici les humains qui mettent la nature en cage. De ce laconique acquiescement et du témoignage du scénariste Evan Hunter alias Ed McBain, qui rapporte qu’Hitchcock donna pour consigne de ne formuler aucune explication sur la conduite insolite des oiseaux -le film devant susciter une peur primitive, celle d'être attaqué sans avertissement, ni motif-, on entérina rapidement l’idée que les Oiseaux était un film d’épouvante quelque peu gratuit.

Rien n’est moins probable et ce serait en contradiction avec l’ensemble de son œuvre où abondent les références psychanalytiques. La maison du Docteur Edwards (1940) s’ouvre notamment sur cette phrase : « Notre histoire a pour sujet la psychanalyse, méthode par laquelle la science moderne traite des problèmes psychologiques des patients. » et Psychose (1960), son film précédent s’achève par l’analyse psychiatrique de Nathan Barnes par un expert légiste. Dans le même Psychose, on voit en germe l’annonce des Oiseaux puisque le motel semble gardé par les menaçantes silhouettes de rapaces et de corbeaux empaillés par Barnes.

Dans les Oiseaux, il me semble que l'on peut distinguer une réflexion sur le couple et la nécessité pour un individu devenu adulte de modifier le lien qui l'unit à ses parents pour pouvoir créer son propre foyer. Examinons à présent les circonstances dans lesquelles se produisent les attaques pour déterminer si elles sont gratuites ou si elles répondent à une logique.

  • Contexte de la première attaque:


  • Mélanie est caractérisée par un comportement voyeur: Elle s’est introduite clandestinement chez les Brenner pour déposer les inséparables dans leur salon et observe à la jumelle, cachée sur une barque, la réaction de Mitch Brenner à cette incursion dans sa sphère privée. Tout comme dans l'animalerie elle s'était abritée derrière l'identité usurpée d'une vendeuse, elle évite encore d'assumer directement son désir et reste dans la projection imaginaire. Le problème psychologique de Mélanie est transféré sur Mitch, c'est son regard qui est redessiné par les foyers des jumelles mais c'est bien Mélanie qui épie.


  • Contexte de la seconde attaque:


  • Le regard de l’institutrice Annie exprime sans ambiguïté sa jalousie devant Mélanie et Mitch, derrière elle, Mrs Brenner semble tout aussi hostile et jalouse de la femme qui menace de la supplanter dans le cœur de son fils.


  • Contexte de la troisième attaque:


  • Mrs Brenner signifie pesamment à Mélanie qu'elle souhaite son départ. A nouveau, elle manifeste son hostilité envers la femme qui pourrait lui enlever son fils.

    Mrs Brenner :
    « Je suis sûre que Mlle Daniels voudrait être déjà partie »

    Kathie :
    « Vous devriez coucher ici, Mélanie, nous avons une chambre en haut et avec tout ce qu’il faut. »

    Mitch :
    « La route peut-être dangereuse, la nuit, vous savez ? »

    Mélanie :
    « Mais si je passe par Santa Rosa, je rattraperai l’autoroute beaucoup plus vite, n’est-ce-pas ? »

    Mrs Brenner :
    « Oui, et c’est le chemin le plus rapide. »

    Après l’échange de deux ou trois autres répliques, une nuées de moineaux jaillit de la cheminée .


    La quatrième attaque et la cinquième ne semblent pas s'inscrire dans la même optique puisqu'elles ne suivent pas la manifestation d'une perversion du désir mais bien dans celle de la critique de Douchet. On peut cependant objecter que ces deux attaques –celle de l’école et de la station service- sont séparées par un répit durant lequel une vieille ornithologue pèse de tout le poids de son rationalisme pour contester l’intelligence collective des attaques : plutôt de n’y voir que la présentation didactique de l’hybris humaine rattrapée par la puissance surnaturelle de la nature, peut-être peut-on y ajouter un simple procédé d’attisement du suspens, puisque dès lors le spectateur attend le démenti de cette affirmation, démenti immédiatement fourni par l’attaque de la station service, la plus spectaculaire de toutes.

  • Contexte de la sixième attaque :


  • Mélanie et les Brenner se sont barricadés dans la ferme familiale et réfugiés sous le portrait de feu Mr. Brenner. Ici, Mitch semble refuser d'affronter ses responsabilités tant d’homme adulte que de chef de famille et reste écrasé par la figure de son père.


  • Contexte de la septième attaque :


  • Mélanie succombe à nouveau au voyeurisme plutôt que d'accepter d'assumer son désir pour Mitch: elle monte en cachette dans la chambre des parents et viole symboliquement leur intimité en allant voir leur lit.*
    (*De nombreuses analyses voient dans la scène de la chambre des parents une métaphore du viol. Cette hypothèse est confortée par le fait que, lorsqu'elle reprend connaissance, Mélanie continue un instant à se débattre contre Mitch, avant d'accepter sa présence à ses côtés. )



  • Conséquences de la septième et dernière attaque :



  • Mrs Brenner perd son statut de mère abusive et accepte tant de transférer son autorité à son fils, que de perdre l'exclusivité de son amour, puisqu’elle accueille Mélanie, Mélanie s'est détaché du voyeurisme et accepte de s'investir affectivement, Mitch cesse de dépendre de la maison de son père, qu’il abandonne, et assume son rôle d'homme adulte; il semble alors que tout rentre dans l'ordre et que les Oiseaux retournent à leur placidité.

    Ainsi, tout comme les Erinyes de la mythologie grecque s’apaisent lorsque Oreste s’est purifié de son crime et deviennent les protectrices Euménides ( « les Bienveillantes »), les Oiseaux s’apaisent enfin lorsque Mélanie et les Brenner ont vaincu leurs démons. Auraient-ils accompli leur mission?

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