Le zombie, mort-vivant du vaudou, s’apparente sur de nombreux points au vampire. Pourtant, s’il s’agit d’abord de son succédané exotique, suite à l’occupation d’Haïti par les États-Unis de 1915 à 1934 (la première œuvre notable consacrée aux zombies est le film White Zombie de Victor Halperin, tourné en 1932 avec Bela Lugosi, le célèbre interprète de Dracula), il va rapidement développer une originalité propre. Dans ces premiers temps, le zombie, comme le vampire, est en grande partie prétexte à l’expression de fantasmes sexuels.
« Elle n’était ni vivante… ni morte… juste un zombie blanc qui assouvissait tous ses désirs ! »
White Zombie de Victor Halperin (1932).
Les similitudes entre zombie et vampire sont manifestes, puisque tout deux répondent des angoisses universelles liées aux rituels funéraires . Les âmes de l’Hadès sont déjà friandes du sang des victimes dans la Nékuia (consultation des âmes des morts) et la rage (généralement rajeunie en une belle arme biologique high-tech), qui a parfois été proposée comme explication rationnelle des syndromes du vampirisme, comportement agressif notamment par la morsure, hyperesthésie (sensibilité excessive des sens, notamment à la lumière), teint pâle et hydrophobie, est souvent assimilée aux zombies[1].
Cette variation sur le vampire acquiert cependant une indépendance et une originalité remarquable. Dans le vaudou haïtien, le zombie est une personne victime d'un houngan (prêtre vaudou), plongé dans un état cataleptique et privé de son âme par administration d'une puissante drogue[2]. La victime, qui passe pour morte, est ensuite enterrée ; au bout d'un certain temps, le sorcier revient déterrer le corps de sa victime tout en récitant diverses formules magiques et il lui fait boire un antidote qui le sort de sa léthargie avec cependant d’irréversibles dommages cérébraux qui permettent au houngan d’affirmer lui avoir fait perdre toute volonté et l’avoir réduit en esclavage. Cette aliénation de la volonté a fortement vitalisé le film de zombie pendant la guerre froide et la paranoïa Maccarthyste. L’accent est particulièrement mis sur la vulnérabilité de chacun et le risque de contamination idéologique. (Le code de censure Hays, Motion Pictures Producers and Distributors Association , appliqué de 1934 à 1966 ne permet cependant pas de montrer de zombies dans des films de grand public, aussi ses attributs sont-ils généralement prêtés à des extraterrestres.) Un film représentatif de cette époque est Invasion of the Body Snatchers , de Don Siegel, sorti en 1956, où des extraterrestres remplacent des morts par des clones identiques mais obéissants à une conscience collective ou Village of the damned de Wolf Rilla , sorti en 1960, qui présente un village où douze enfants nés simultanément forment eux aussi une entité collective et maléfique.
Le zombie va donc se distinguer du vampire : quand Bram Stocker publie Dracula , en 1897, le support du vampire, héritier des incubes et succubes de la mythologie grecque, est une sorte de support de contrebande permettant de s’exprimer sur la sexualité dans l’Angleterre puritaine. Le zombie, lui, n’est pas sexué, ou plutôt il ne l’est qu’au stade oral : si le vampire séduit[3] , notamment par le verbe, pénètre et échange des fluides, le zombie dévore et s’exprime par grognements . (L’identification de la sortie de ce stade étant associée à la maîtrise de la parole, qui permet à la bouche de communiquer et de cesser d’être exclusivement une zone érogène.) C’est précisément cette sexualité orale du zombie qui va en faire une figure majeure de l’imaginaire occidental contemporain.
“Nourriture”
Plan d’ouverture de Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Des zombies et des superettes.
La figure du zombie révèle remarquablement trois facettes de l’inconscient collectif des sociétés occidentales : notre sentiment de culpabilité et nos angoisses vis-à-vis du tiers-monde, la peur des épidémies et des nouvelles technologies, notamment les biotechnologies, thèmes que nous aborderons par la suite, et cette frénésie consommatrice qu’il caricature par sa fonction dévorante.[4]
La supérette est donc un élément essentiel du film de zombies : La frénésie carnassière des morts-vivants s’inscrit en écho de la jubilation consommatrice des survivants, qui parfois même reprennent foi et confortent leur identité par le shopping. Dans Land of the Dead, Romero fait d’ailleurs d’un centre commercial situé dans une tour l’ultime bastion où se retranche l’humanité. 

Land of the Dead de George A. Romero (2005).
La parodie Shawn of the Dead se livre bien sûr à l’exercice imposé de la supérette, en jouant notamment sur un effet de répétition, la routine de consommation de Shawn est si bien ancrée en lui qu’il ne s’aperçoit pas, au matin de l’apparition des zombies, ni qu’il glisse sur une flaque de sang dans la supérette dévastée, ni que la vitrine réfrigérante d’où il retire sa bière est maculée de sang ni même que ses connaissance du voisinage se sont métamorphosés en zombies.
Shawn of the Dead d’Edgar Wright (2004).
La trilogie Evil Dead, qui glisse progressivement vers la parodie, propose aussi le supermarché, où Ash est employé comme lieu représentatif de la vie normale par opposition au monde parallèle des zombies dont il revient, même si ce lieu finit par être à son tour envahi, proposant ainsi une fin ouverte à cette série.
Evil Dead 3, L’armée des ténèbres de Sam Raimi(1992)
Dans 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002), la scène de la supérette contraste par la luminosité extrême des néons avec l’obscurité oppressante des scènes qui l’encadre, une musique acide et guillerette accompagne de joyeuses courses de caddies et les personnages passent rapidement du ravitaillement nécessaire à une euphorique mise à sac du rayon du chocolat pour les femmes et des alcools fins pour les hommes. On peut observer l’opposition entre la nourriture aseptisée voire les pommes irradiées que fournissent les supérettes et le cannibalisme des zombies. La nourriture sous cellophane ou en conserve reflète la dimension dénaturée d’une société qui veut consommer sans tuer sa nourriture, sans avoir à accepter la mort. Nous refoulons la vison des chairs putrides et sanguinolentes tout comme nous refoulons la mort : le zombie qui la représente est en effet à tuer, ce qui crée un paradoxe intéressant.
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
L’artificialité de leur essence, « j‘achète donc je suis » est encore soulignée par le plan de coupe qui suit cette scène, la vision kitch et sans lien narratif de sillons symétriques de fleurs, d’une nature dénaturée pour une improbable esthétique.
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
Le zombie est alors révélateur de notre monstruosité. Il est fréquent de ce fait que les héros soient eux même des sortes d’hybrides entre les deux extrêmes.
Jim, le héros de 28 jours plus tard, se fait passer pour mort sur un charnier où il est abandonné par des militaires puis revient à la vie à demi-nu, vêtu d’un pantalon militaire. Il parvient alors à survivre aux militaires en devenant temporairement habité par la rage des zombies ce qui lui permet de les surpasser en puissance et en barbarie,… 
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
...Charlie, l’un des héros de Land of the Dead, humble, fidèle et doux, est confondu avec un mort-vivant lors de sa première apparition, en raison de son visage brûlé sur l’un des profils, ce par quoi le réalisateur Romero semble montrer que la frontière est mince,…
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
…Ash, le héros de la trilogie Evil Dead de Sam Raimi, voit sa main se transformer en zombie, entrer en lutte contre lui et doit la sectionner avec la tronçonneuse qu’il va lui substituer…

Evil Dead 2 : Dead by Dawn de Sam Raimi (1987).
Evil Dead 3, L’armée des ténèbres de Sam Raimi (1992).
Shawn of the Dead d’Edgar Wright (2004).
…et enfin, Shawn, le héros de la parodie Shawn of the Dead s’illustre par un comportement si remarquablement végétatif qu’au début du film, alors que le spectateur attend des manifestations de l’épidémie, le réalisateur joue à nous faire douter du statut de ce mort-vivant aliéné par son mode de (non-)vie. Le film se conclut par ailleurs sur Shawn et son ami Ed devenu zombie entamant une partie de jeu vidéo, sans modification notable du comportement d’Ed, alors que la bande originale entame You’re my Best Friend (Tu es mon meilleur ami) de Queen.
Des zombies et des éprouvettes.
Nous avons précédemment évoqué que les superstitions liées au vampirisme avaient peut-être eu pour origine des symptômes de rage, lors des nombreuses épidémies de cette maladie que connut l’Europe Centrale du XIXe siècle. Toutefois, le mythe littéraire du vampire assume généralement de s’inscrire dans le registre du surnaturel alors que souvent le film de zombie se cantonne à l’étrange : le sujet d’angoisse n’est pas systématiquement une peur de l’au-delà mais souvent le recours au surnaturel n’est qu’un moyen de transcender des angoisses concrètes. La plus évidente de celles-ci est la peur de l’épidémie, non plus d’épidémies vues comme un aveugle fléau de Dieu, comme la peste associée au vampire, mais d’épidémies soit punissant l’ hybris[5] prométhéenne , comme les virus nés des biotechnologies[6] et échappant au contrôle humain, soit comme le sida dont la contamination reste inconsciemment associé à un châtiment et donc à un libre arbitre, châtiment de la toxicomanie et de la luxure mais pire encore de la pauvreté, tabou et angoisse fondamentale des sociétés libérales initialement de culte puritain construites sur l’idée que les élus de Dieu prospèrent et que la pauvreté est donc signe de malédiction.[7]
28 jours plus tard, Resident Evilet Je suis une légende s’inscrivent tous les trois dans la lignée des œuvres de science-fiction condamnant l’hybris (la démesure de l’homme qui prétend rivaliser avec un Créateur ou des forces supposées le dépasser[8]) La première de ces œuvres me paraît être le Frankenstein de Mary Shelley (1818), dont le titre complet Frankenstein ou le Prométhée moderne, renvoie à une figure fondatrice de l’hybris, Prométhée, puni par les dieux pour avoir rivalisé avec eux en créant l’homme puis en lui donnant le feu. La créature de Frankenstein est en effet la première manifestation notable d’une angoisse liée aux biotechnologies. Ces trois films donc ont en commun le fait que l’épidémie y est issue d’un test clinique échappant au contrôle humain[9]:
Resident Evil: Extinction, de Russell Mulcahy (2007).
essais cliniques d’Umbrella, une multinationale cynique, dans la série de jeux vidéos puis de films Resident Evil ,
Je suis une légende de Francis Lawrence (2007)
Panacée humaniste virant au cauchemar dans Je suis une légende ,
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002)virus indéfini dans 28 jours plus tard mais appelé « la fureur » par un scientifique responsable du projet. Boyle procède dans les premiers plans à un hommage à Kubrick en pastichant Orange Mécanique, en prolongeant la logique du romancier Anthony Burgess qui avait choisi ce titre, à partir du mot malais « Orang » signifiant homme mais renvoyant explicitement à l’orang-outan et insistant sur l’animalité de l’être humain. (Kubrick présentait son héros, Alex, forcé à visualiser des scènes d’ultra violence sous l’effet de drogues, Boyle présente des chimpanzés cobayes soumis au même traitement.
Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971)
La géographie sociale du bastion humain de Land of the Dead est évocatrice de cette association du zombie au pauvre,.d’un emploi métaphorique du thème de l’épidémie -épidémie de pauvreté, dont la maladie est un symptôme.
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
La partie de la population aux marges du territoire des morts est celle des quartiers périphériques pauvres alors que la puissance sociale s’organise de façon concentrique autour de l’immeuble de Fiddler’s Green.
Dans la parodie Shawn of the Dead, l’épidémie touche en premier lieu les pauvres, les parias de notre société : Tout d’abord Shawn aperçoit du bus un clochard contaminé qui dévore un pigeon, et le lendemain, parmi les premiers zombies se trouve un vagabond auquel Shawn à l’habitude de faire l’aumône et dont il n’aperçoit pas la transformation. L’indifférence passive aux informations et aux stimuli alarmants joue pour beaucoup dans l’efficacité comique dans la première partie .Le film joue sur ce thème imposé : à plusieurs reprises les informations télévisées sont sur le point de révéler l’origine de l’épidémie et sont interrompues par le zapping indifférent et compulsif des personnages. Clairement, la justification scientifique est ici présentée comme un lieu commun, un exercice imposé du genre, l’épidémie est ici une saturation, l’explosion d’une société trop abrutie par son aliénation.
Shawn of the Dead d’Edgar Wright (2004).
Les plans du générique d’ouverture du film qui présentent le pas trainant et résigné de banlieusards en route vers leur travail les associent métaphoriquement aux zombies dont nous attendons l’apparition. Cette image n’est pas sans rappeler l’ouverture d’un autre film consacré sept décennies plus tôt à la destruction de l’humain par l’industrialisation, Les Temps Modernes, de Charles Chaplin (1936), dont le générique contient la comparaison suivante : 

Les Temps Modernes de Charles Chaplin (1936)
L’ouvrier comparé au mouton de la crise économique de 1929 est devenu salarié-zombie de la crise actuelle.
Des zombies et des clôtures.
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
« J’ai déjà appris qu’il ne fera jamais cuire de pain, qu’il ne fera rien pousser, qu’il ne fera jamais d’élevage. J’ai déjà appris qu’il n’a aucun avenir et j’apprendrai combien de temps un contaminé peut survivre sans se nourrir . »
Réponse du Major Henri West (L’Ouest, l’Occident) au héros de 28 jours plus tard lorsqu’il lui demande ce qu’il a appris en gardant en captivité un zombie (noir, évidemment.)
A la phobie de la pauvreté souvent assimilée à cette épidémie est souvent associée celle des pays pauvres et des migrants. L’Afrique, par exemple, réunit 25% des malades du monde pour moins de 15 % de la population mondiale[10]. Le zombie représente en en repoussoir un tiers-monde dont nous nions l’humanité, découragés par sa détresse et aux proportions inhumaines des drames qui s’y déroulent et il exprime la culpabilité refoulée qui en résulte dans nos consciences. La maladie des pays pauvres, dans notre inconscient est évidemment le sida, et le zombie exprime souvent l’angoisse d’une contamination par voie sanguine[11].
Shawn of the Dead d’Edgar Wright (2004).
Dans Shawn of the Dead, lorsque l’épidémie est contenue, lors de l’un des zapping de Shawn deux bénévoles apparaissent à l’écran, vêtus d’un T-Shirt « Zombaid », pastichant ceux de la lutte contre le sida.
Le film de zombies va donc exprimer notre désir plus ou moins assumé de tenir à distance misère et maladie au moyen de barrières. On peut remarquer que dans 28 jours plus tard, film britannique, ce désir est couplé à un retournement des fantasmes liés à l’insularité du Royaume-Uni, puisque « la Fureur », ce virus est contenu dans l’île qui a si souvent exprimé son angoisse de voir la rage y parvenir.
28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
Comme nous l’avons dit précédemment, les personnages assaillis par les zombies confortent leur identité par la consommation, présentée comme l’essence de nos organisations sociales, aussi, dans 28 jours plus tard, les habitants d’une tour se barricadent-ils symboliquement de caddies.
Shawn of the Dead joue sur cette identification du zombie au migrant: à la fin du film, lorsque Shawn peut enfin reprendre son zapping compulsif, un programme fait une rétrospective sur le « Z-Day », le jour des zombies, et montre comment ils se sont insérés dans la société : ils s’avèrent notamment utiles pour les emplois non-qualifiés comme le rangement des caddies dans les supermarchés.
Shawn of the Dead d’Edgar Wright (2004).
Land of the Dead et Je suis une légende ont ce point commun qu’après la rupture des clôtures, les personnages cherchent un refuge au Nord…
Eden fortifié dont la vision conclut Je suis une légende de Francis Lawrence (2007)
… cependant, à l’exception de la dernière clôture de Je suis une légende, les clôtures de films de zombies sont systématiquement débordées et on y voit souvent un affrontement entre des armées humaines (occidentales ?) suréquipées et la poussée (démographique ?) de zombies avide de dévorer et n’ayant rien à perdre.
Barrière électrifiée sur laquelle échouent et carbonisent les zombies dans Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Barrière métallique terrassée par le flux humain dans Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Clôture aux airs de frontière mexicaine autour de l’entrée du complexe d’Umbrella, dans Resident Evil: Extinction, de Russell Mulcahy (2007) .
Périmètre de sécurité autour du retranchement militaire de 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
De nombreux réalisateurs ne se contentent pas d’exposer nos phobies mais nous amènent à nous interroger sur nos valeurs suposées, comme la dimension sacrée de la personne humaine et leur échec dans nos sociétés libérales. C’est le cas de Romero (Land of the Dead), de Boyle ( 28 jours plus tard) et de Wright (Shawn of the dead). Au cœur du retranchement militaire de 28 jours plus tard trône une copie de statue grecque.

28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
Il s’agit d’un élément du groupe de Laocoon, des sculpteurs hellénistiques Agésandros, Athanadoros et Polydore (vers 40 av. J.-C).
Laocoon, dans les légendes liées à la guerre de Troie, est un prêtre troyen tué avec ses fils par un serpent envoyé par Athéna parce qu’il avait tenté de mettre les Troyens en garde contre le cheval abandonné par les Grecs. Sa statue symbolise le cheval de Troie de 28 jours plus tard, par lequel la contamination va entrer dans la place. Eclairée comme un Commandeur de Dom Juan, il rappelle que la barbarie est présente, sous l’apparence ultra-policée des règlements militaires. Elle se cache dans l’homme comme dans un cheval de Troie et elle est corrompt ce qui aurait dû être l’ultime symbole de la civilisation : l’héritage culturel de la Grèce antique ; pourtant le Major West a promis à ses hommes qu’ils pourront violer les femmes qu’ils ont secourues et il fait mettre à mort ceux qui veulent s’y opposer. Dès lors, il déclenchera la fureur en Jim comme nous l’avons vu précédemment , celui-ci libérera le zombie noir enchaîné et la contamination sortira du ventre du cheval.
Land of the Dead développe aussi cette remise en question des valeurs de l’Occident présentées comme un rempart à la barbarie: l’humanité refoule sa mortalité et se barricade dans un univers aseptisé et le retranchement humain évacue les corps de ses morts dans des caisses jetées sur des charniers, sans aucun respect de leur dimension humaine. Ce refoulement est accompagné d’une dérision des rituels funéraires : « les fleurs pour le cimetière » désignent en code radio les fusées éclairantes qui permettent à une horde de motards de massacrer des zombies fascinés par la poésie de ces feux d’artifices. Un certain nombre d’éléments fait même écho à la Shoah:
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Le costume rayé de l’un des premiers zombies apparaissant à l’écran évoquant celui des déportés, l’influence de l’uniforme SS sur celui du personnel de sécurité de Kaufman, la réification des zombies, notamment dans le night-club, où, enchaînés, ils servent de décor ou de cibles de paint-ball ,ou lorsqu’ils combattent dans une arène.
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Plus loin, on en découvre suspendus par les pieds et recouverts de cibles dans un champ de tir.
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Le pompiste noir qui va mener les zombies s’illustre au contraire par son humanité : il cherche à sauver ses congénères du massacre, n’organise l’invasion du retranchement humain qu’en réaction au massacre des siens et enfin il achève avec compassion plusieurs de ses compagnons martyrisés. Le vrai monstre n’est donc pas un zombie, mais c’est bien Kaufman, l’incarnation du libéralisme sauvage : il abat sans hésitation ceux qui le gênent et il résume cyniquement sa mission envers le retranchement en affirmant qu’il a édifié des barrières militarisées et qu’il lui a offert des jeux et du vice. Kaufmann répète systématiquement « Vous n’avez pas le droit » quand il voit son univers s’effondrer : le droit semble bien s’être démarqué de la justice, « la justice, cette fugitive du camp des vainqueurs » selon Simone Weil.
Romero dévoile peut-être une morale lors de l’invasion du centre commercial par les zombies : une femme zombie se penche sur une cage de canaris utilisés pour la décoration et qui semblait symboliser la condition de l’humanité retranchée et constate que les oiseaux étaient mécaniques, que leur grâce était un mirage sans âme, comme l’est peut-être cet Occident déshumanisé.
Land of the Dead de George A. Romero (2005).
Cette sélection de films de zombies qu’ils soient films d’auteurs ou films de commande, tragiques ou parodiques, qu’ils assument l’étiquette de ce genre mineur ou qu’ils se réfugient derrière des épidémies plus ou moins réalistes, sont révélateurs de nombreux malaises de notre civilisation, aliénation par une consommation boulimique et un refoulement de la mort et de la souffrance, angoisse face aux nouvelles technologies et notamment face aux biotechnologies et surtout enjeux éthiques de notre confrontation avec le Tiers-Monde, confrontation que peu d’autres œuvres abordent avec une telle sincérité.
Notes:
1.28 jours plus tard de Danny Boyle (2002), Je suis une légende de Francis Lawrence (2007) , Resident Evil…
2.La drogue serait à base de tétrodotoxine, un poison puissant que l'on retrouve dans le tétraodon (poisson-ballon), et serait administrée par contact avec la peau sous forme de poudre ou de liquide.
3. Plusieurs rumeurs affirment que l’un des ouvrages fondateurs du mythe du vampire , The Vampyre de John Polidori (1819) aurait été inspiré par le poète Byron, séducteur bisexuel et incestueux dont Polidori était le médecin personnel.
4. Dans La Voce della Luna, dernier film de Federico Fellini (1990) qui présente la quête de Cendrillon d’un poète aliéné finissant par découvrir que le soulier de vair convient à toute les Cendrillons standardisées de la société de consommation, apparaît le personnage du Grande Mangiatore, le Grand Dévoreur, un homme qu’un musicien découvre une nuit pillant son frigo après avoir involontairement invoqué les forces du mal.
La Voce della Luna de Federico Fellini (1990) 5. Cf.: suggestion de psychanalyse des Oiseaux d’Alfred Hitchcock.
6. 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002), Je suis une légende de Francis Lawrence (2007) , Resident Evil…
7. Cf. Max Weber : « De là au contraire le succès, parmi les Canoniques, du livre de Job qui allie une glorification grandiose de la majesté souveraine de Dieu, sans commune mesure avec la condition humaine, glorification qui est fort proche des conceptions calvinistes, avec la certitude, qui jaillit de nouveau à la fin du livre - accessoire pour Calvin, mais d'une importance certaine pour le puritanisme - que Dieu y bénit les siens aussi en cette vie – dans Job : seulement! - et jusque sur le plan matériel. »
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905)
8. « Regarde les animaux qui sont d'une taille exceptionnelle : le ciel les foudroie et ne les laisse pas jouir de leur supériorité ; mais les petits n'excitent point sa jalousie. Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure. » Hérodote Histoire/Enquête (VII, 10).
9. Cette condamnation de l’hybris est aussi exprimée dans Bienvenue à Gattaca,d’ Andrew Niccol (1998) qui s’ouvre sur la citation de l’Ecclésiaste suivante : « Regarde l’œuvre de Dieu, qui pourra donc redresser ce qu’il a courbé ? » Ecclésiaste 7 :13.
10. Référence : Le dessous des cartes, « L'Afrique prend soin de l'Europe » émission France (2008) ARTE
Auteur: Jean Christophe Victor
Producteur: Arte France Developpement
11. Dans les faits le paludisme et la sous-alimentation le dépassent en létalité :
Malnutrition : selon Jean Ziegler, rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies de 2000 à mars 2008, en 2008, plus de 36 millions sont mortes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments, sur 62 millions de décès, soit 58% de la mortalité totale.
Paludisme : 1,5 à 2,7 millions de décès par an selon l’OMS.
Sida : 2.1 millions en 2007 selon le rapport Onusida.
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